06.11.2014
LES MEILLEURS APHORISMES DE LÉON BLOY
Je publierai prochainement une présentation assez critique de Léon Bloy (1846-1917), mais je ne veux pas différer la mise en ligne de ma collecte de ses aphorismes les plus éclatants.
Je les reclasserai peut-être un jour par thèmes, mais en attendant je les donne selon les œuvres où ils apparaissent, elles-mêmes classées par genres accessibles d'un clic : Journal Correspondance et propos oraux Articles et plaquettes Essais et pamphlets Romans et nouvelles
. Se défier des gens qui promettent des millions et dont on est forcé de régler les consommations. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 6 décembre 1893 ; Bouquins, 1999, tome I p. 72).
. J’ai l’air de parler à la foule pour l’amuser. En réalité, je parle à quelques âmes d’exception qui discernent ma pensée et l’aperçoivent sous son voile. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 16 février 1894, lettre à André Roullet ; Bouquins, 1999, tome I p. 78).
. L’Angleterre est au monde ce que le Diable est à l’homme. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 7 juillet 1894 ; Bouquins, 1999, tome I p. 94).
. L’homme autour de qui ne peuvent se déchaîner que des catastrophes est un élu. Malheur à celui dont la présence ne déplace que des atomes. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 17 juillet 1894, lettre à Henry de Groux ; Bouquins, 1999, tome I p. 94).
. Dieu est seul contre tous. Évidemment, il y a là un mystère. Il est certain qu’un homme, fût-ce un scélérat, contre qui tout le monde se ligue et qui est seul contre tous, a en lui quelque chose de DIVIN qui le rend aimable. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 21 juillet 1894 ; Bouquins, 1999, tome I p. 95).
. Une pensée parfaitement vraie, exprimée en fort bons termes, peut satisfaire la raison, sans donner l’impression du Beau ; mais alors, certainement, il y a quelque chose de faux dans l’exposé. Il est indispensable que la Vérité soit dans la Gloire. La splendeur du style n’est pas un luxe, c’est une nécessité. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 19 août 1894 ; Bouquins, 1999, tome I p. 100).
. Quand donc m’habituerai-je à ne compter sur aucun homme ? (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 30 août 1894 ; Bouquins, 1999, tome I p. 103).
. Sortis de là [=le cimetière Montparnasse] et assis dans un café, nous sommes environnés d’êtres soi-disant humains, venus aussi des cimetières, et qui nous paraissent moins vivants que les dormientes qui nous ont émus tout à l’heure. Mannequins affreux, sous les hardes qui leur donnent une apparence d’humanité. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 2 novembre 1894 ; Bouquins, 1999, tome I p. 117).
. Je ne suis pas de ceux qui « respectent toutes les opinions », comme disent les bourgeois, dont vous êtes. Ah ! non… Je suis pour l’intolérance parfaite et j’estime que qui n’est pas avec moi est contre moi. Il se peut que, rempli du besoin de me servir, de vous dévouer même, vous soyez, en réalité, un ennemi. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 8 novembre 1894, lettre à Marius Tournadre ; Bouquins, 1999, tome I p. 118).
. Celui qui n’est pas le plus grand artiste du monde avant d’avoir tracé une ligne, ne le deviendra jamais. On ne devient rien, pas même un imbécile, pas même un porc. On naît grand artiste comme on naît saint, comme on naît n’importe quoi, et l’éducation n’est qu’un discernement. Rien de plus. Il n’est pas permis à César de téter comme les autres hommes. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 9 décembre 1894, lettre à Henry de Groux ; Bouquins, 1999, tome I p. 126).
. La plus ruineuse des folies, décidément, c’est de n’être pas un maquereau ou un imbécile. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 23 février 1895 ; Bouquins, 1999, tome I p. 134).
. Vous me voyez installé, non moins que [Caïn Marchenoir, héros du Désespéré et projection de Bloy], dans l’intolérance absolue. Pour tout dire en un mot, nous estimons, l’un et l’autre, que l’Inquisition fut parcimonieuse de supplices et que la véritable charité apostolique est, avant tout, dans l’abondance et la qualité des massacres. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 31 mars 1895, exorde d’une conférence ; Bouquins, 1999, tome I p. 139).
. Mot de ma chère Jeanne [=sa femme] : On assure volontiers que les gens sans Dieu souffrent plus que les autres. Ce doit être un lieu commun. Il me semble, au contraire, que la souffrance profonde ne peut être connue que des amis de Dieu. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 15 avril 1895 ; Bouquins, 1999, tome I p. 140).
. Étonnante jocrisserie des occultes (!) qui ont besoin de rites et de grimoires pour sentir la présence du Démon, et qui ne voient pas le satanisme, – à crever les yeux, – de leur épicier, par exemple. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 15 juin 1895 ; Bouquins, 1999, tome I p. 150).
. Si je ne sentais pas ma misère, comment pourrais-je sentir ma joie qui est fille aînée de ma misère et qui lui ressemble à faire peur ? (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 26 juin 1895 ; Bouquins, 1999, tome I p. 153).
. Les pauvres sont des riches sans le sou, et les riches sont d’infâmes pauvres comblés d’argent. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 28 juin 1895 ; Bouquins, 1999, tome I p. 153).
. L’Idolâtrie, c’est de préférer les choses visibles aux choses invisibles. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 28 juillet 1895 ; Bouquins, 1999, tome I p. 157).
. On fait ce qu’on peut. Les gens de génie offrent à Dieu leur génie, les imbéciles offrent leur imbécilité. Tout est pour le mieux. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 9 septembre 1895 ; Bouquins, 1999, tome I p. 160).
. On doit la vérité, surtout aux morts. (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat. 1892-1895, 20 octobre 1895 ; Bouquins, 1999, tome I p. 166).
. Depuis une dizaine de siècles, au moins, il n'y a jamais eu qu'une Question d'Orient, question à triple face et à triple tour. Extermination ou du moins expulsion des Musulmans, extermination des Grecs et conquête du Saint-Sépulcre. Tout le reste est imbécillité ou mensonge. (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 14 mars 1897, lettre à Henry de Groux ; Bouquins, 1999, tome I p. 194).
. Avantage de la laideur sur la beauté. La beauté finit et la laideur ne finit pas. (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 14 décembre 1897 ; Bouquins, 1999, tome I p. 213).
. Lorsque les hommes se réunissent, ils ne font ordinairement rien de noble. (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 20 avril 1899 ; Bouquins, 1999, tome I p. 257).
. On dit d’un homme qu’il est raisonnable, comme les putains disent d’un client qu’il est sérieux. Nous ne pourrions même plus faire de bons esclaves, tant nous sommes devenus imbéciles. (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 8 août 1899, lettre à Louis Douzon ; Bouquins, 1999, tome I p. 283).
. Avez-vous besoin de bons conseils ? Essayez d'emprunter à un ami. Plus votre ami sera riche, plus les conseils seront excellents. (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 30 novembre 1899 ; Bouquins, 1999, tome I p. 298).
. Je me fous de la politique d'autant mieux que je suis installé, depuis des lustres, sur un pic intellectuel d'où le grouillement contemporain est à peine discernable. (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 18 décembre 1899, lettre à Chamuel ; Bouquins, 1999, tome I p. 300).
. Depuis environ vingt ans, je promulgue la nécessité d'en finir avec l'abominable engeance de cette salope [=la reine Victoria]. […] Je n'ai aucun besoin de l'Apocalypse pour discerner que l'Angleterre est parfaitement haïssable et que plus on crève d'Anglais, plus les séraphins doivent resplendir. Ceux qui les crèvent [=les Boers] et qui ne valent peut-être pas mieux seront crevés à leur tour, de sorte qu'on ne sera pas un instant sans joie. Mais il faut que l'Angleterre soit saignée dabord. Telles sont mes vues politiques. (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 28 décembre 1899, lettre à Henry de Groux ; Bouquins, 1999, tome I p. 304).
. Jamais, il n’y eut rien d’aussi odieux, d’aussi complètement exécrable que le monde catholique contemporain – au moins en France et en Belgique – et je renonce à me demander ce qui pourrait plus sûrement appeler le feu du Ciel. […] Je déclare, au nom d’un très petit groupe d’individus aimant Dieu et décidés à mourir pour lui, quand il le faudra, que le spectacle des catholiques modernes est une tentation au-dessus de nos forces. […] Je veux bien que ces cochons soient mes frères ou, du moins, mes cousins germains […] ; mais le moyen de ne pas bondir, de ne pas pousser d’effroyables cris ?… (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 9 janvier 1900, article « Le siècle des charognes » (paru le 4 février 1900 dans le n°5 de Par le scandale) ; Bouquins, 1999, tome I p. 308). [1]
. Mais les catholiques ! […] / Lâcheté, Avarice, Imbécilité, Cruauté. Ne pas aimer, ne pas donner, ne pas voir, ne pas comprendre, et, tant qu’on peut, faire souffrir ! […] Il serait, dailleurs, intéressant de grouper les topiques, proverbes, dictons, adages, maximes ou sentences morales accumulés au cours des siècles, par les chrétiens, contre l’Évangile. On verrait qu’il n’y a pas une parole du Sauveur ou de ses Amis qui ne reçoive chaque jour, de la Prudence humaine, le démenti le plus insultant ; et nos dévotes, on aime à le croire, seraient heureuses d’apprendre qu’elles parlent, tout le temps, comme les démons. / […] Je ne sais rien d’aussi dégoûtant que de parler de ces misérables qui font paraître petites les souffrances du Rédempteur, tellement ils ont l’air capable de faire mieux que les bourreaux de Jérusalem. (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 9 janvier 1900, article « Le siècle des charognes » (paru le 4 février 1900 dans le n°5 de Par le scandale) ; Bouquins, 1999, tome I p. 308-309). [2]
. Le riche est une brute inexorable qu’on est forcé d’arrêter avec une faux ou un paquet de mitraille dans le ventre. / […] De l’absolu où je suis placé, il m’est impossible de voir le riche, et surtout le riche catholique, autrement que persécuteur et dévorateur du pauvre. […] / Il est intolérable à la raison qu’un homme naisse gorgé de biens et qu’un autre naisse au fond d’un trou à fumier. Le Verbe de Dieu est venu dans une étable, en haine du Monde, les enfants le savent, et tous les sophismes des démons ne changeront rien à ce mystère que la joie du riche a pour substance la Douleur du pauvre. Quand on ne comprend pas celà, on est un sot pour le temps et pour l’éternité. […] / Ah ! si les riches modernes étaient des païens authentiques, des idolâtres déclarés ! il n’y aurait rien à dire. Leur premier devoir serait évidemment d’écraser les faibles et celui des faibles serait de les crever à leur tour, quand l’occasion s’en présenterait. Mais ils veulent être catholiques tout de même et catholiques comme ça ! Ils prétendent cacher leurs idoles jusque dans les Plaies adorables !… / (Léon Bloy, Mon journal. Dix-sept mois en Danemark. 1896-1900, 9 janvier 1900, article « Le siècle des charognes » (paru le 4 février 1900 dans le n°5 de Par le scandale) ; Bouquins, 1999, tome I p. 310). [3]
. Qu'est-ce que le suffrage universel ? C'est l'élection du père de famille par les enfants. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 11 août 1900 ; Bouquins, 1999, tome I p. 341 – répété dans Le Vieux de la montagne, 20 mai 1910, Bouquins tome II p. 151).
. Pourquoi dit-on les mauvais riches, comme s’il pouvait y en avoir de bons ? (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 23 décembre 1900 ; Bouquins, 1999, tome I p. 367). [4]
. Certaines guérisons de Lourdes ressemblent à des manœuvres diaboliques. Les pèlerins sont des chrétiens (!) préoccupés surtout de leur viande, qui ne sont guéris que pour être mis en état de se damner mieux. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 21 janvier 1901 ; Bouquins, 1999, tome I p. 369).
. « Tout chrétien sans héroïsme est un porc », prononcera, un jour, un envoyé de l’Esprit-Saint. « Cette parole est dure et qui peut l’entendre ? » diront, comme dans saint Jean, les pharisiens scandalisés. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 31 janvier 1901 ; Bouquins, 1999, tome I p. 371).
. À propos des automobiles et des trains électriques. Jeanne me fait remarquer que les inventions modernes tendent de plus en plus à donner aux hommes les moyens de fuir. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 17 novembre 1901 ; Bouquins, 1999, tome I p. 396).
. Les damnés n’ont d’autre rafraîchissement, dans le gouffre de leurs tortures, que la vision des épouvantables faces des démons. Les amis de Jésus voient autour d’eux les chrétiens modernes et c’est ainsi qu’ils peuvent concevoir l’enfer. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, épigraphe à l’année 1902 ; Bouquins, 1999, tome I p. 399).
. On peut être un imbécile et pratiquer tout de même l'imparfait du subjonctif, cela s'est vu. Mais la haine de l'imparfait du subjonctif ne peut exister que dans le cœur d'un imbécile. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 12 septembre 1902 ; Bouquins, 1999, tome I p. 431).
. Entrepris avec désespoir la lecture d'un recueil manuscrit de vers libres soumis à mon examen. C'est navrant. Le vers libre est, à mes yeux, l'une des pires aberrations modernes, l'une de celles qui proclament avec des éclats de fanfare, l'affaiblissement de la Raison. Remplacer le mystère tout à fait surnaturel du Rythme et du Nombre par des alinéas et des signes de ponctuation, ce n'est pas seulement de la sottise, c'est de la perversité. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 25 septembre 1902 ; Bouquins, 1999, tome I p. 432).
. Nous pensons que le Mépris serait le pharmaque sûr, l’électuaire vrai pour la santé de l’âme et du corps. Mais il faut entendre le mépris complet, le mépris des autres, le mépris de soi-même, enfin et surtout le mépris du mépris qui rend libre. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 6 novembre 1902 ; Bouquins, 1999, tome I p. 443).
. Quand j’écrirai sur Napoléon, je dirai mon étrange angoisse toutes les fois qu’il est parlé de Waterloo, par n’importe qui et l’impossibilité, pour moi éternelle, de consentir à ce désastre. Il y a les fautes ou les crimes de Napoléon, oui. Mais il y a bien autre chose et je sens, au plus profond lieu de mon âme, que jamais, en aucun jour, une aussi énorme injustice ne fut accomplie. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 17 avril 1903 ; Bouquins, 1999, tome I p. 471).
. À force d'avilissement, les journalistes sont devenus si étrangers à tout sentiment d'honneur qu'il est absolument impossible, désormais, de leur faire comprendre qu'on les vomit et qu'après les avoir vomis, on les réavale avec fureur pour les déféquer. La corporation est logée à cet étage d'ignominie où la conscience ne discerne plus ce que c'est que d'être un salaud. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 21 avril 1903, article « L’aristocratie des maquereaux » (publié le 16 mai dans L’Assiette au beurre sous le titre « Journalistes ») ; Bouquins, 1999, tome I p. 472).
. Tant mieux si celà nous mène au désirable chambardement de la fin. Le jour où il n’y aura plus moyen de faire une bonne action ou une œuvre d’art sans risquer le bagne ou tout au moins le pilori, il est clair que le monde sera gouverné par des journalistes et que le Déluge de Merde sera sur le point de commencer. Il y a des moments où il me semble que nous y sommes déjà. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 21 avril 1903, article « L’aristocratie des maquereaux » (publié le 16 mai dans L’Assiette au beurre sous le titre « Journalistes ») ; Bouquins, 1999, tome I p. 472).
. Il est évident que tout automobiliste ambitieux est un assassin avec préméditation, puisqu'un tel sport implique, à son escient et à peu près nécessairement, le massacre de toute créature animée qui pourra se rencontrer sur son chemin. […] Jamais on ne s'est tant fichu des pauvres, c'est sûr, mais jamais les pauvres ne l'ont tant permis. Cela les flatte, semble-t-il, d'être écrasés par des machines qui ont coûté jusqu'à cent mille francs. Il se dit et il s'imprime que l'industrie des automobiles occupe un nombre incalculable d'ouvriers, qu'elle en occupera demain le double ou le triple, ce qui donne lieu d'espérer qu'à la fin elle occupera tous les ouvriers sans exception. Les deux tiers de la population de la France et des colonies fabriqueront exclusivement des automobiles innombrables au moyen desquelles il seront écrasés quotidiennement et studieusement par le dernier tiers. Il est possible que tel soit le joli destin. Ce serait la levée en masse pour la bonne guerre du parfait abrutissement français. […] L'automobile est un instrument du progrès à tout casser, à tout enfoncer, à tout écraser. […] Cette circonstance [=l’exode rural] ne change rien au fait indéniable de l’idiotification d’un peuple qui fut le premier de la terre. Ceci est autrement grave que l’écrasement éventuel des individus ou des multitudes. […] Il y eut, autrefois, la sélection merveilleuse du Sang et de l’Âme qui s’est nommée l’aristocratie des vertus. Il y a, aujourd’hui, la sélection de l’argent qui produit naturellement l’aristocratie des imbéciles et des assassins, représentée par les 255 automobiles de [la course] Paris-Madrid. (Léon Bloy, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne. 1900-1904, 2 juin 1903, article « La revanche de l’infâme » ; Bouquins, 1999, tome I p. 484).
. Qu’est-ce que le Bourgeois ? C’est un cochon qui voudrait mourir de vieillesse. (Léon Bloy, L’Invendable. 1904-1907, 20 septembre 1904 ; Bouquins, 1999, tome I p. 548).
. Pour montrer le mal avec précision, avec une exactitude rigoureuse, il est indispensable de l’exagérer. (Léon Bloy, L’Invendable. 1904-1907, 11 octobre 1904 ; Bouquins, 1999, tome I p. 548).
. Plus je vieillis, plus j'ai d'avenir. (Léon Bloy, L’Invendable. 1904-1907, 6 novembre 1904 ; Bouquins, 1999, tome I p. 551).
. Tous les lieux communs stupides et sophistiques sur le devoir de voter. / Je n’ai qu’une chose à dire, toujours la même : On espère le salut par le Suffrage universel, parce qu’ayant perdu la foi, on croit qu’un mauvais arbre peut donner de bons fruits. Or le suffrage universel est un arbre de mort et de désespoir. Le mauvais apôtre s’y est pendu. Le suffrage universel n’est pas un mal accidentel, c’est un mal absolu. / Le vote familial, proposé dernièrement, paraît une idée juste, puisqu’elle reconstituerait la famille. Mais il faudrait, auparavant, abolir le divorce. Tout est impossible aujourdhui. Dieu semble avoir abandonné cette société misérable. (Léon Bloy, L’Invendable. 1904-1907, 24 avril 1906 ; Bouquins, 1999, tome I p. 600).
. Je pense qu'il n'y a jamais eu d'époque aussi dénuée d'intérêt. Uniformité désespérante de la platitude et de l'ordure, attestée par les sécrétions du journalisme. (Léon Bloy, L’Invendable. 1904-1907, 21 avril 1907 ; Bouquins, 1999, tome I p. 640).
. Triage et classement de vieilles lettres. Destruction d’un grand nombre. Pour sentir le néant de cette vie, il faut se livrer à une occupation de ce genre. Le retour sur le passé ne donne que de la poussière. On est étonné de voir le peu d'importance, la vanité parfaite de tout ce qui avait agité le cœur. (Léon Bloy, L'Invendable. 1904-1907, 10 juillet 1907 ; Bouquins, 1999, tome I p. 649).
. Lettre circulaire de La Chasse illustrée invoquant l'Amérique et m'invitant à faire connaître « le sport qui m'a particulièrement séduit depuis mon adolescence ». Réponse : Monsieur, Il ne peut venir d'Amérique et des « Associations américaines » que la sottise, la laideur et les plus incurables ignominies. Je crois fermement que le Sport est le moyen le plus sûr de produire une génération d'infirmes et de crétins malfaisants. L'examen de quelques lignes d'un journal de sport suffit pour se former à cet égard une très ample conviction. Pour ce qui est de mon « sport favori », votre ignorance montre clairement que vous n'avez rien lu de moi – ce qui ne peut m'étonner, le sport et la lecture étant tout à fait incompatibles. Ceux qui m'ont lu savent que l'unique sport qui « m'a particulièrement séduit depuis mon adolescence » est la trique sur le dos de mes contemporains et le coup de pied dans leur derrière. (Léon Bloy, L'Invendable. 1904-1907, 9 août 1907 ; Bouquins, 1999, tome I p. 650).
. Assomption. Je reviens de la basilique, saturé de tristesse, ayant vu quelques touristes… Puis je me suis dit que l'irrévérence de ces animaux est moins offensante pour Dieu que la médiocrité des dévots qui baisent la terre ostensiblement. (Léon Bloy, L'Invendable. 1904-1907, 15 août 1907 ; coll. Bouquins, 1999, tome I p. 651).
. Saint Barthélemy : Personne à massacrer. C'est à dégoûter de la Liturgie. (Léon Bloy, L'Invendable. 1904-1907, 24 août 1907 ; Bouquins, 1999, tome I p. 651).
. Idée effrayante de Jeanne […] : « Les plaisirs de ce monde pourraient bien être les supplices de l'enfer, vus à l'envers, dans un miroir. » (Léon Bloy, Le Vieux de la montagne. 1907-1910, 29 mai 1908 ; Bouquins tome II p. 42).
. C’est étonnant comme les hommes non habitués à penser ressemblent à des fous quand ils s’y mettent. (Léon Bloy, Le Vieux de la montagne. 1907-1910, 29 juin 1908 ; coll. Bouquins, 1999, tome II p. 45).
. Nos catholiques modernes dont la médiocrité parfaite est peut-être le signe le plus effrayant, pensent presque tous à des moyens humains. On n'entend parler que de ligues, de congrès, d'élections, etc. À mes yeux tout cela est vain et profondément stupide. La vérité, bien certaine pour moi, c'est l'inanité absolue de ce bavardage et l'impuissance désormais irrémédiable de la société chrétienne condamnée sans rémission. Tout est inutile maintenant, excepté l'acceptation du martyre. […] Je montre le mal sans offrir aucune réforme. Sans doute, puisque je sais qu'il n'y a pas de réforme possible. (Léon Bloy, Le Vieux de la montagne. 1907-1910, 2 janvier 1910, lettre à Mme X. ; Bouquins, 1999, tome II p. 113).
. Pascal a dit que le « Moi est haïssable ». Ce jour-là, il s'est trompé, le pauvre Blaise, comme se trompent les hommes supérieurs, c'est-à-dire beaucoup plus et beaucoup mieux que ne peuvent se tromper les hommes ordinaires. En réalité, il n'y a d'intéressant que le Moi, la vision nette d'une âme belle ou affreuse qui se dévoile. Vérité indiscutable en littérature, par exemple. Un poète sans moi est insupportable, fastidieux et dégoûtant. (Léon Bloy, Le Vieux de la montagne. 1907-1910, 15 avril 1910 ; Bouquins, 1999, tome II p. 137).
. Le propre de l'orgueil, c'est de se supplicier lui-même. (Léon Bloy, Le Vieux de la montagne. 1907-1910, 16 avril 1910 ; Bouquins, 1999, tome II p. 137).
. Je ne connais pas de situation plus voisine de l'enfer que celle-ci : Un artiste qui ne peut pas voir ses œuvres sans dégoût, un écrivain qui ne peut pas se relire. (Léon Bloy, Le Vieux de la montagne. 1907-1910, 20 avril 1910 ; Bouquins, 1999, tome II p. 138).
. Forcés de nous abriter dans un café, nous sommes victimes d'un phonographe qui s'oppose à tout effort de conversation. Peste moderne devenue universelle. Je prévois le jour où les prédicateurs seront remplacés en chaire par ces instruments diaboliques. On m'assure que cela se pratique déjà en Amérique dans certains temples. (Léon Bloy, Le Pèlerin de l’absolu. 1910-1912, 23 mars 1911 ; Bouquins, 1999, tome II p. 218).
. Depuis quarante ans la France est gouvernée par des gens à qui personne n'oserait confier son porte-monnaie. (Léon Bloy, Le Pèlerin de l’absolu. 1910-1912, 3 mai 1911, « Courtoise visite au "Mendiant ingrat" » ; Bouquins, 1999, tome II p. 223).
. Quant à la guerre prochaine, je l'attends avec impatience, persuadé qu'elle sera exterminatrice et que le nombre des imbéciles […] sera considérablement diminué. (Léon Bloy, Le Pèlerin de l’absolu. 1910-1912, 3 mai 1911, « Courtoise visite au "Mendiant ingrat" » ; Bouquins, 1999, tome II p. 223).
. Qu’est-ce que les villégiatures ? Besoin étrange d’être mal, trois mois par an. (Léon Bloy, Le Pèlerin de l’absolu. 1910-1912, 2 octobre 1912 ; Bouquins, 1999, tome II p. 296).
. On sait mon peu de goût pour la philosophie, à mes yeux la plus ennuyeuse façon de perdre le précieux temps de la vie et dont le patois hyrcanien me décourage. (Léon Bloy, Le Pèlerin de l’absolu. 1910-1912, 17 octobre 1912 ; Bouquins, 1999, tome II p. 298).
. Napoléon est si grand qu’on dirait que l’empire du monde ne fut pour lui qu’un pis-aller. (Léon Bloy, Le Pèlerin de l’absolu. 1910-1912, 7 décembre 1912 ; Bouquins, 1999, tome II p. 324).
. Un de ces poètes dont une nation peut s'enorgueillir, c'est-à-dire un vase de souffrance, un de ces êtres qui ne peuvent tomber qu'en haut et qui sont, pour leur continuelle angoisse, captifs de la boue d'en bas. Sans doute ils retourneront à la poussière comme tous les autres humains, mais leur poussière ajoutera quelque chose à la Voie lactée. (Léon Bloy, Au seuil de l’Apocalypse. 1913-1915, 3 mars 1914, préface au Journal d'un converti de Pierre Van der Meer ; Bouquins, 1999, tome II p. 390).
. On enterre, chaque jour, de vénérables vieillards qui ont cru, jusqu’à leur dernière heure, à la Démocratie, et j’avoue que cette idiotie me confond. Dès mon bel âge de dix-huit ans, je me rappelle très bien que j’avais peine à concevoir qu’il y eût des êtres assez au-dessous des nègres pour croire que les enfants eussent le pouvoir et même le devoir d’engendrer leurs pères. La vieille fable de Menenius [=les membres et l’estomac] est singulièrement discréditée. Il faut croire que, cinq cents ans avant l’Ère chrétienne, le peuple de Rome était moins bête que nous, puisque cet illustre et poussiéreux triomphateur put la lui faire accepter. Aujourd’hui, on le décrèterait gâteux et on l’enverrait à la Coupole. / C’est tout de même ahurissant de penser à l’inexplicable autosurvie du régime républicain. Depuis quarante-quatre ans, pour ne pas remonter plus haut, on croirait que toutes les expériences ont été faites et que ce régime de dégoûtation est devenu impossible. Atrophie universelle des intelligences, avachissement inouï des caractères, exécration endémique de la Beauté et de la Grandeur, obsèques nationales de toute autorité humaine ou divine, boulimie furieuse de jouissances, destruction de la famille et vivisection de la patrie, mœurs de cochons enragés, empoisonnement systématique de l’enfance, élection et sélection de chenapans ou de goitreux dans les cavernes de la politique ou sur le trottoir des candidatures, etc., tels sont les fruits de l’arbre de la Liberté. (Léon Bloy, Au seuil de l’Apocalypse. 1913-1915, 9 avril 1914, article « La France devant les cochons » ; Bouquins, 1999, tome II p. 390).
. Plus de crétins ! dit le docteur Serge Voronoff. Il suffit de greffer sur l'enfant arriéré la glande thyroïde d'un singe. […] Plus de crétins ! Ce serait la fin des Droits de l'Homme et la ruine de notre littérature. (Léon Bloy, Au seuil de l’Apocalypse. 1913-1915, 1er juillet 1914 ; Bouquins, 1999, tome II p. 403).
. La vérité, l'évidence crevant l’œil c'est que l'Allemand, à tous les étages, est une abominable crapule haineuse et envieuse qui ne nous pardonnera jamais notre supériorité millénaire, sachant très bien, malgré sa « Kultur » de cuistres et d'esclaves, et sentant avec rage qu'elle n'a d'autre raison d'exister, d'autre subsistance réelle que nos croûtes et d'autre fonction que de rincer nos pots de chambre ! (Léon Bloy, Au seuil de l’Apocalypse. 1913-1915, 20 décembre 1914, lettre à Philippe Raoux ; Bouquins, 1999, tome II p. 446).
. Vous êtes loin de me rendre justice quand vous supposez que j'ai pu désirer la gloire et la multitude des lecteurs. J'ai toujours pensé au contraire que ce qu'on nomme le succès est un diplôme de médiocrité ou un certificat d'ignominie et j'ai écrit des livres, illisibles pour la foule, dans l'espérance unique d'atteindre quelques âmes ignorées de moi mais apparentées mystérieusement à la mienne. (Léon Bloy, La Porte des humbles. 1915-1917, 20 décembre 1916, lettre à Georges Joubert ; Bouquins, 1999, tome II p. 582).
. Les journaux sont remplis d'une manifestation « grandiose » ayant eu lieu hier en l'honneur des alliés américains. Occasion de glorifier une fois de plus La Fayette, l'imbécile des deux mondes et le plus funeste crétin de la Révolution. / Comment faire pour ne pas mépriser une telle époque, comment échapper au vomissement ? (Léon Bloy, La Porte des humbles. 1915-1917, 23 avril 1917 ; Bouquins, 1999, tome II p. 607).
CORRESPONDANCE et PROPOS ORAUX
. Un cœur sans afflictions est comme un monde sans révélation ; il ne voit Dieu qu’à la faible lueur du crépuscule. Nos cœurs sont remplis d’anges quand ils sont pleins d’affliction. (Léon Bloy, Lettres de jeunesse 1870-1893, lettre IX à Georges Landry, 25 avril 1873, éd. Édouard-Joseph, 1920, page 56).
. Je ne finirais pas si je voulais décrire les merveilleux effets de la Douleur sur les facultés de l’homme et sur son cœur ; elle est l'auxiliaire de la création. (Léon Bloy, Lettres de jeunesse 1870-1893, lettre IX à Georges Landry, 25 avril 1873, éd. Édouard-Joseph, 1920, page 60).
. Ah ! les grandes âmes sont nécessaires au monde et il crèvera hideusement quand il n'en existera plus. Il en faut de césariennes, de despotiques, d'incommensurables, où toutes les ambitions puissent venir s'engouffrer et ensuite se revomir, il en faut pour expérimenter le genre humain, pour exprimer dans les faits l'harmonie de leur propre domination souveraine et le bienfaisant prestige de leur grande manière d'être ; enfin, pour imposer – même aux sots, – l'hommage définitif qui doit toujours aller, après tout, à des œuvres comme celle-ci. (Léon Bloy, La Méduse Astruc (1875) ; Œuvres complètes, tome IV, Mercure de France, 1965, p. 26-27).
. Ah ! comme tout cela va finir tristement et de quelle mort ignoble nous allons mourir ! (Léon Bloy, La Méduse Astruc (1875) ; Œuvres complètes, tome IV, Mercure de France, 1965, p. 32).
. La vie bien entendue doit être une continuelle persécution, tout vaillant homme un persécuteur, et c’est là la seule manière d’être vraiment poète. Persécuteur de soi-même, persécuteur du genre humain, persécuteur de Dieu. Celui qui n’est pas cela, soit en acte, soit en puissance, est indigne de respirer. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, Dédicace à Rodolphe Salis, janvier 1884 ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 18).
. Si la Beauté vous persécute et vous dévore, dévorez à votre tour tout ce qui vous environne, comme un palais incendié qui darde autour de lui ses flèches, ses fleuves, ses nappes de flammes. Persécuté d’en haut, persécutez la création tout entière et fatiguez de vos clameurs le ciel même. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, Dédicace à Rodolphe Salis, janvier 1884 ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 18).
. Quant à la littérature ou plutôt à l’Art, vous verrez si c’est une chose facile quand on n’a pas souffert et qu’on ne veut pas souffrir. On ne change pas la nature des choses et on ne décrète pas que les poètes heureux seront sublimes. La Douleur est l’essence même du beau en poésie et la Poésie est une porphyrogénète née dans la pourpre du sang du cœur des poètes. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions (1884), « L’enthousiasme en art » ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 25).
. Il est tout à fait certain que je vais m’exposer à l’accusation, très grave aux yeux des bourgeois, de n’avoir pas le respect des morts et je m’en flatte. Les hommes illustres, vivants ou morts, appartiennent aux langues de la critique ; c’est leur vraie famille, surtout quand on les enterre, et l’autre famille n’a rien à y prétendre. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « Les obsèques de Caliban » (1er mai 1883), I ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 31).
. Dans une société égalitaire toute supériorité est donc un crime et le plus grand des crimes, puisqu’il tombe sur toutes les têtes à la fois et qu’il lèse la sordide majesté du Nombre. Aussi la noble gloire n’est-elle plus possible dans cet ergastule révolté ! (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « Le cytise des licornes en littérature » (29 septembre 1883), I ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 47).
. Le plus pressant de tous les besoins du cœur, c’est-à-dire le besoin d’être désagréable aux imbéciles et aux scélérats. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’art de déplaire » (15 décembre 1883) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 76).
. Lord Byron, dans son Child Harold, déplore son impuissance. Il voudrait que tout son mépris, toutes ses colères, toutes ses douleurs, pussent tenir dans un seul mot qui serait la foudre, afin de prononcer ce mot. Voilà l’idéal. / Le réel, c’est de savourer des épithètes homicides, des métaphores assommantes, des incidentes à couper et triangulaires. Il faut inventer des catachrèses qui empalent, des métonymies qui grillent les pieds, des synecdoques qui arrachent les ongles, des ironies qui déchirent les sinuosités du râble, des litotes qui écorchent vif, des périphrases qui émasculent et des hyperboles de plomb fondu. Surtout, il ne faut pas que la mort soit douce. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’art de déplaire » (15 décembre 1883) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 76).
. J’irai ainsi, s’il plaît à Dieu, m’exaspérant de plus en plus, prodiguant une caresse tous les six mois et dix mille claques chaque jour, sourd à toute prudence comme à toute crainte. […] Je suis une manière de désespéré, ne croyant guère au relèvement de ce que je vois si profondément déchu et cet article n’est rien de plus que l’inutile protestation d’un solitaire contre toute une littérature à laquelle je voudrais qu’on appliquât le grand principe de politique transcendantale que je me donne la permission de formuler ainsi qu’il suit : Aux peuples forts, il faut des législations fortes comme eux, à la fois miséricordieuses et inexorables ; aux peuples corrompus, il en faut d'EXTERMINATRICES. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’art de déplaire » (15 décembre 1883) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 77-78).
. On fera là-dessus toutes les plaisanteries qu’on voudra, je m’en moque comme de ma première bouchée de chair humaine. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « Le dixième cercle de l’Enfer » (22 décembre 1883) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 80).
. Il y avait peut-être, sous […] ce front d’esclave, l’idiote croyance à l’égalité, puisque, après tout, cette doctrine […] a pour premier résultat pratique d’abriter l’orgueil de tous les Abjects réunis sous le panache d’insolence du premier imbécile venu. Doctrine tellement commode que la supériorité même d’un puissant esprit égaré dans cette métaphysique d’égoutier y trouve encore son compte, en ce sens qu’elle lui offre un refuge assuré contre toute loi d’obéissance, sans désespérer le moins du monde son inconsciente fringale de despotisme. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’homme aux tripes » (5 janvier 1884) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 89).
. Je ne mets jamais le pied dans une salle de spectacle à cause de l’odeur de la viande humaine dont j’ai le malheur de m’être dégoûté. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’écrasement de l’infâme » (19 janvier 1884) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 96).
. [Rentrant d’un spectacle où une foule parisienne a apprécié un magnétiseur :] Je me disais que c’était bien là le sale peuple d’esclaves que toute l’Europe commence à mépriser. Il peut venir maintenant, le puissant gueux, l’exterminateur providentiel, ses pieds de brute entreront dans la Fille aînée de l’Église, devenue la catin du monde, comme ils entreraient dans un excrément liquide. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’écrasement de l’infâme » (19 janvier 1884) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 98-99).
. La vie est trop courte pour rosser tout le monde, disais-je en un jour de mélancolie. Hélas ! il n’est que trop vrai, tout est trop court ! Sans doute, on a de la famille, comme Vallès, et on peut toujours l’assommer, faute de mieux, mais on a aussi des amis et c’est une douce consolation de les sentir à bonne portée, quand on est privé de la douceur de moudre le genre humain. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « Notre linge sale » (26 janvier 1884) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 104).
. Il n’y a peut-être jamais eu d’exemple de ce suicide involontaire de tout un peuple acharné à se déshonorer et à se désarmer lui-même. Comme il fallait une manière de sophisme lyrique à une race aussi généreuse, on a commencé par s’élever contre le chauvinisme, au nom de la fraternité universelle. Le chauvinisme, c’est-à-dire, au fond, la préférence, le choix décidé d’une patrie quelconque. On en est maintenant à la haine nationale de l’armée et de toutes les formes imaginables de la force publique. Ainsi, on ne tâtonne plus, on ne frappe plus au hasard, on sait désormais ce qu’on veut détruire et on ne se gêne plus pour le dire exactement. L'ESPRIT MILITAIRE, VOILÀ L'ENNEMI ! (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’épée dans la boue » (1er mars 1884) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 116-117).
. J’ai surtout en vue l’armée française qu’on outrage impunément et que j’aime avec passion, comme l’une des plus grandes écoles du sacrifice qui se soient vues sur cette planète où la guerre est d’institution divine. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’épée dans la boue » (1er mars 1884) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 118).
. Les bourgeois les plus cancéreux, les plus oxydés, les plus fangeusement égoïstes, auront toujours au fond de leurs immondes entrailles un borborygme de sensibilité quand on leur parlera de l’horrible massacre de la Saint-Barthélemy, que j’appelle, moi, un acte de légitime défense et que je trouve répréhensible en un seul point, qu’il fut déplorablement raté. / La société catholique, en ce temps-là, commençait déjà à tomber en déliquescence. C’était le commencement du cloaque actuel. On était déjà timide, on raisonnaillait et on pleuraillait. Le bras charnel branlait fortement dans le manche doctrinal. On ne fit rien de propre et, le lendemain, c’était à recommencer. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions, « L’obsession du simulacre » (15 mars 1884) ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 125).
. [Du tourment de la vie :] Les natures vulgaires s’en tirent comme elles peuvent, en adorant l’argent ou la chair. Les natures supérieures ne s’en tirent pas et s’en vont par le monde en poussant des cris plus terribles que ceux de ces aigles blessés qui emportent leur agonie au fond de l’azur et qui n’en finissent pas de tomber du ciel. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions (1884), « Les artistes mystérieux », IV ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 152-153).
. En poésie, comme en religion et en politique, tout le monde se croit docteur et manque essentiellement de docilité. (Léon Bloy, Propos d’un entrepreneur de démolitions (1884), « Les artistes mystérieux », V ; Œuvres complètes, tome II, Mercure de France, 1964, p. 154).
. Les injures bestiales, les crapuleux défis, les sacrilèges stupides, les idiotes atrocités de nègres échappés au bâton et tremblant d’y retourner, tout celà est peu de chose et ne contamine essentiellement ni la vérité ni la justice. (Léon Bloy, Le Pal, n°4. « Le Christ au dépotoir » (avril 1885) ; Œuvres complètes, tome IV, Mercure de France, 1965, p. 84).
. Les Pieds du Christ ne peuvent pas être souillés, mais seulement sa Tête, et cette besogne d’iniquité idéale est le choix inconscient ou pervers de la multitude de ses amis. / Les catholiques déshonorent Jésus-Christ comme jamais les Juifs et les plus fanatiques anti-chrétiens ne furent capables de le déshonorer. […] Je les accuse de médiocrité. […] L’innocent médiocre renverse tout. Il avait été prévu sans doute, mais tout juste, comme la pire torture de la Passion, comme la plus insupportable des agonies du Calvaire. (Léon Bloy, Le Pal, n°4. « Le Christ au dépotoir » (avril 1885) ; Œuvres complètes, tome IV, Mercure de France, 1965, p. 85).
. Tout dépend du point de vue. Quand l’héroïsme semble grotesque, la chiasse devient glorieuse. (Léon Bloy, Les Dernières colonnes de l’Église (1903), IV. Huysmans ; Œuvres complètes, tome IV, Mercure de France, 1965, p. 260).
. On me reprochera peut-être aussi de manquer de respect envers un défunt. « La mort, disait autrefois Jules Vallès [5], n'est pas une excuse ». (Léon Bloy, Sur la tombe de Huysmans, préface (octobre 1913) ; Œuvres complètes, tome IV, Mercure de France, 1965, p. 332).
. Les âmes contemporaines sont matelassées d’une épaisse toison de bêtise impénétrable à n’importe quelle balistique de l’Art. (Léon Bloy, Sur la tombe de Huysmans, « Huysmans et son dernier livre » (mai 1887) ; Œuvres complètes, tome IV, Mercure de France, 1965, p. 338).
. Ah ! l’exagération, ce mot des lâches et des niais, que les hommes jetteront perpétuellement à la figure de quiconque aura l’audace de leur parler avec fermeté de quoi que ce soit ! (Léon Bloy, Le Révélateur du globe (1884), II ; Œuvres complètes, tome I, Mercure de France, 1964, p. 91).
. Au point-de-vue moral et physique, le Youtre moderne paraît être le confluent de toutes les hideurs du monde. (Léon Bloy, Le Salut par les Juifs (1892), IV ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 26).
. La sympathie pour les Juifs est un signe de turpitude, c’est bien entendu. Il est impossible de mériter l’estime d’un chien quand on n’a pas le dégoût instinctif de la Synagogue. Celà s’énonce tranquillement comme un axiome de géométrie rectiligne, sans ironie et sans amertume. (Léon Bloy, Le Salut par les Juifs (1892), XI ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 34).
. L'authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très petit nombre de formules. / Le répertoire des locutions patrimoniales qui lui suffisent est extrêmement exigu et ne va guère au-delà de quelques centaines. Ah ! si on était assez béni pour lui ravir cet humble trésor, un paradisiaque silence tomberait aussitôt sur notre globe consolé ! (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), texte liminaire ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 19).
. Être comme il faut. / Règle sans exception. Les hommes dont il ne faut pas ne peuvent jamais être comme il faut. Par conséquent, exclusion, élimination immédiate et sans passe-droit de tous les gens supérieurs. Un homme comme il faut doit être, avant tout, un homme comme tout le monde. Plus on est semblable à tout le monde, plus on est comme il faut. C'est le sacre de la Multitude. / Être habillé comme il faut, parler comme il faut, manger comme il faut, marcher comme il faut, vivre comme il faut, j'ai entendu cela toute ma vie. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), XXV ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 48).
. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. / Il y en a d'autres, en plus grand nombre, qui ne sont pas meilleures à entendre. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), XXXIII ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 55).
. Il est inutile de respecter les vivants, à moins qu’ils ne soient les plus forts. Dans ce cas, l’expérience conseille plutôt de lécher leurs bottes, fussent-elles merdeuses. Mais les morts doivent toujours être respectés. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), LXV ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 85).
. Par nature le Bourgeois est haïsseur et destructeur de paradis. Quand il aperçoit un beau Domaine, son rêve est de couper les grands arbres, de tarir les sources, de tracer des rues, d'instaurer des boutiques et des urinoirs. Il appelle ça monter une affaire. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), CI ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 115).
. Les petits ruisseaux font les grandes rivières. / Ainsi parle mon épicier empochant les sous des misérables. Ainsi parle tel financier raflant l’épargne des humbles gens. Ainsi parle Chamberlain en voyant couler le sang des petits enfants des Boers. Et tous trois disent exactement la même chose. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), CX ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 122).
. On ne peut pas être et avoir été. / Vous vous trompez, cher employé des Pompes funèbres, et la preuve, c'est qu'on peut avoir été un imbécile et l'être encore. C’est même le contraire qui n’arrive pas. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), CXI ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 122-123).
. À quelque chose malheur est bon. / Le malheur des autres, cela va sans dire. Il n’y a même que cela de bon. Il est assez difficile de se figurer une chose heureuse arrivant à un voisin de campagne, par exemple, et dont on puisse tirer parti. La preuve, c’est que le bonheur des uns ne fait pas le bonheur des autres, comme le dit fort exactement un autre Lieu Commun presque identique. […] Ce qui est incontestablement bon, c’est de voir souffrir le prochain, de savoir qu’il souffre. C’est bon en soi et c’est bon par les conséquences, puisqu’un homme abattu est un homme qu’on peut manger. Or il est bien connu qu’il n’y a pas de chair, pas même celle du cochon, qui soit aussi savoureuse. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), CXXXIII ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 144).
. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. / Là-dessus, pas d’incertitude. Les personnes les plus charitables reconnaissent que le mal du prochain est toujours le moindre et que c’est bien celui-là qu’il faut choisir. Les moralistes ont toujours remarqué depuis longtemps qu'on a toujours assez de force pour supporter les peines d'autrui. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Première série (1902), CLXVIII ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 167).
. En mettant un peu d'argent de côté, vous préparez votre avenir et vous donnez aux pauvres un exemple infiniment plus précieux que toutes les aumônes. / Croyez-moi, fussiez-vous très riche, il faut toujours mettre un peu d'argent de côté. Si vous rencontrez un miséreux, un mourant de faim que sauverait le don de quelque monnaie, il se peut, le cœur de l'homme étant fragile, que vous vous sentiez ému. Prenez garde, c'est le moment de l'épreuve, c'est l'heure de la tentation redoutable. Soyez généreux et refusez avec énergie. Souvenez-vous que le premier de tous vos devoirs est de mettre de l'argent de côté et que l'ombre de Benjamin Franklin vous regarde. (Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Nouvelle série (1913), CVIII ; Œuvres complètes, tome VIII, Mercure de France, 1968, p. 283).
. Tout homme qui possède au-delà de ce qui est indispensable à sa vie matérielle et spirituelle est un millionnaire, par conséquent un débiteur de ceux qui ne possèdent rien. (Léon Bloy, Le Sang du pauvre (1909), V ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 100).
. Je me suis demandé souvent quelle pouvait être la différence entre la charité de tant de chrétiens et la méchanceté des démons. (Léon Bloy, Le Sang du pauvre (1909), IX ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 110).
. L’artiste : « L’argent est pour la Gloire de Dieu, sachez-le bien, et la Gloire de Dieu est au sein des pauvres. Tout autre usage qu’on en peut faire une prostitution et une idolâtrie. Mais, avant tout, c’est un vol. Il n’y a qu’un moyen de ne pas détrousser les autres, c’est de se dépouiller soi-même. » (Léon Bloy, Le Sang du pauvre (1909), XV ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 129).
. Le désir exclusif de s’enrichir est, sans contredit, ce qui peut être imaginé de plus abject. (Léon Bloy, Le Sang du pauvre (1909), XVII ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 135).
. Les avares sont des mystiques ! Tout ce qu’ils font est en vue de plaire à un invisible Dieu dont le simulacre visible et si laborieusement recherché les abreuve de tortures et d’ignominies. (Léon Bloy, Le Sang du pauvre (1909), conclusion ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 148).
. Qui de nous, Français ou même étrangers de la fin du XIXe siècle, n’a pas senti l’énorme tristesse du dénouement de l’Épopée incomparable ? Avec un atome d’âme c’était accablant de penser à la chute vraiment trop soudaine du Grand Empire et de son Chef ; de se rappeler qu’on avait été, hier encore, semble-t-il, à la plus haute cime des Alpes de l’Humanité. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), introduction, I ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 272).
. Il n’y a pas un être humain capable de dire ce qu’il est, avec certitude. Nul ne sait ce qu’il est venu faire en ce monde, à quoi correspondent ses actes, ses sentiments, ses pensées. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), introduction, II ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 273).
. Il est vrai que le monde n’est pas difficile à étonner. Il est si médiocre et si bas, cet apanage de Satan, qu’un semblant de force ou de grandeur suffit ordinairement. On l’a beaucoup vu de nos jours où des politiciens et des écrivains, capables tout au plus de piquer des bœufs ou des assiettes, ont pu se faire admirer par des multitudes. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), introduction, III ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 274).
. Le bonheur ou ce qu’on veut appeler le bonheur, en cette vie, n’est qu’une combinaison, d’ailleurs illusoire, de satisfactions médiocres et d’aubaines adventices qui ne peuvent convenir à un grand homme et surtout au plus grand des hommes. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), chap. I ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 290).
. Ce qu’on sent très bien, c’est qu’on a contre soi l’Europe entière, simplement parce qu’on est la France qui est l’âme vivante de tous les peuples, et que c’est une loi pour la brute humaine de guerroyer contre son âme. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), chap. IV ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 298).
. Pour qui voit dans l’Absolu, la guerre n’a de sens que si elle est exterminatrice, et l’avenir très prochain nous le montrera. C’est une sottise ou une hypocrisie de faire des prisonniers. Assurément Napoléon ne fut ni un sot ni un hypocrite, mais ce prétendu bourreau était un sentimental toujours prêt à pardonner, un magnanime, croyant quand même à la magnanimité des autres, et on sait ce que lui coûta cette illusion incompréhensible. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), chap. IV ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 301).
. Que n’a-t-on pas dit de la liberté anglaise ? Autre lieu commun tout à fait classique. Et quelle nation plus esclave de ses préjugés religieux ou politiques, de ses institutions, de son pharisaïsme diabolique, de son orgueil insurmontable et sans pitié ? Autant parler de la liberté de Carthage où on crucifiait les lions, c'est-à-dire les citoyens qui méprisaient le commerce, ou de la liberté de Rome où les débiteurs insolvables devenaient, en vertu des lois, esclaves de leurs créanciers. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), chap. X ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 320).
. [À la France] s’oppose, dans cette nation [=l’Angleterre] – aussi moderne par la bassesse de ses convoitises qu’elle est antique par sa dureté à l’égard des faibles – le gouvernement exclusif des intérêts mercantiles. Car telle est la honte et la tare indélébile de l’Angleterre. C’est une usurière carthaginoise, une marchande à la toilette politique, son isolement insulaire lui permettant, disait Montesquieu, « d’insulter partout » et de voler impunément. La fameuse Rivalité traditionnelle n’est pas autre chose que l’antagonisme séculaire d’une peuple noble et d’un peuple ignoble, la haine d’une nation cupide pour une nation généreuse. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), chap. X ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 320-321).
. L’abjection commerciale est indicible. Elle est le degré le plus bas et, dans les temps chevaleresques, même en Angleterre, le mercantilisme déshonorait. Que penser de tout un peuple ne vivant, ne respirant, ne travaillant, ne procréant que pour cela ; cependant que d’autres peuples, des millions d’êtres humains souffrent et meurent pour de grandes choses ? Pendant dix ans, de 1803 à 1813, les Anglais payèrent pour qu’il leur fût possible de trafiquer en sécurité dans leur île, pour qu’on égorgeât la France qui contrariait leur vilenie, la France de Napoléon qu’ils n’avaient jamais vue si grande et qui les comblait de soucis. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), chap. X ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 321).
. On ne peut rien comprendre à Napoléon aussi longtemps qu’on ne voit pas en lui un poète, un incomparable poète en action. Son poème c’est sa vie entière et il n’y en a pas qui l’égale. Il pensa toujours en poète et ne put agir que comme il pensait, le monde visible n’étant pour lui qu’un mirage. Ses proclamations étonnantes, sa correspondance infinie, ses visions de Sainte-Hélène le disent assez. Soit qu’il parlât, soit qu’il écrivît, son langage magnifiait tout. (Léon Bloy, L’Âme de Napoléon (1912), chap. XIV ; Œuvres complètes, tome V, Mercure de France, 1966, p. 334).
. Voici un homme qui n'attend plus que le martyre. Il sait de façon certaine qu'un jour il lui sera donné à choisir entre la prostitution de sa pensée et les plus horribles supplices. Son choix est fait. Mais il faut attendre, il faut vivre et ce n'est pas facile. Heureusement il a la prière et les larmes et le tranquille ermitage du mépris. […] / Tout au plus serait-il tenté d'envier la mort de ceux qu'il a perdus et qui ont donné leur vie terrestre en combattant avec générosité. Mais cette fin elle-même le dégoûte, ayant été si déshonorée par les applaudissements des lâches et des imbéciles. / Et le reste est épouvantable. La sottise infinie de tout le monde à peu près sans exceptions ; l'absence, qui ne s'était jamais vue, de toute supériorité ; l'avilissement inouï de la grande France d'autrefois implorant aujourdhui le secours des peuples étonnés de ne plus trembler devant elle. […] Il faut être arrivé, après tant de générations, sur ce seuil de l'Apocalypse et être ainsi devenu spectateur d'une abomination universelle que ne connurent pas les siècles les plus noirs pour sentir l'impossibilité absolue de toute espérance humaine. (Léon Bloy, Dans les ténèbres (1917), I. « Le mépris » ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 292-293).
. Dans ce siècle si lâchement sensuel, s’il y a une chose qui ressemble presque à une violente passion, c’est la haine de la Douleur, haine si profonde qu'elle arrive à réaliser une sorte d'identité à l'être même de l'homme. (Léon Bloy, Dans les ténèbres (1917), IX. « La douleur » (texte de 1879) ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 305).
. Dans tous les temps les âmes ardentes et magnifiques ont cru que pour en faire assez, il fallait absolument en faire trop, et que c’était ainsi que l’on ravissait le Royaume des Cieux… (Léon Bloy, Dans les ténèbres (1917), IX. « La douleur » (texte de 1879) ; Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 309).
. Au fait, que diable voulez-vous que puisse rêver, aujourd'hui, un adolescent que les disciplines modernes exaspèrent et que l'abjection commerciale fait vomir ? Les croisades ne sont plus, ni les nobles aventures lointaines d'aucune sorte. Le globe entier est devenu raisonnable et on est assuré de rencontrer un excrément anglais à toutes les intersections de l'infini. Il ne reste plus que l'Art. Un art proscrit, il est vrai, méprisé, subalternisé, famélique, fugitif, guenilleux et catacombal. Mais, quand même, c'est l'unique refuge pour quelques âmes altissimes condamnées à traîner leur souffrante carcasse dans les charogneux carrefours du monde. (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), I, chap. XI ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 54).
. On prohibe le désinfectant et on se plaint d’avoir des punaises. Telle est l’idiotie caractéristique des temps modernes. (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), III, chap. XLII ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 164). [6]
. Aucune chose, à l’exception du génie, n’[est] aussi férocement détestée que l’héroïsme. (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), III, chap. XLV ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 174).
. Les catholiques ont pris eux-mêmes à forfait leur propre ignominie, et voilà ce qui supplante un nombre infini de venimeuses gueules. C’est l’enfantillage voltairien d’accuser ces pleutres de scélératesse. La surpassante horreur, c’est qu’ils sont MÉDIOCRES. (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), III, chap. XLV ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 177).
. Un homme couvert de crimes est toujours intéressant. C'est une cible pour la Miséricorde. C'est une unité dans l'immense troupeau des boucs pardonnables, pouvant être blanchis pour de salutaires immolations. (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), III, chap. XLV ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 177).[7]
. Caïn Marchenoir : « Il est trop facile d’émasculer les âmes en ne leur enseignant que le précepte de chérir ses frères, au mépris de tous les autres préceptes qu’on leur cacherait. On obtient, de la sorte, une religion mollasse et poisseuse, plus redoutable par ses effets que le nihilisme même. » (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), IV, chap. LIV ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 224).
. Caïn Marchenoir : « Que penseriez-vous de la charité d'un homme qui laisserait empoisonner ses frères, de peur de ruiner, en les avertissant, la considération de l'empoisonneur ? Moi, je dis qu'à ce point de vue la charité consiste à vociférer et que le véritable amour doit être implacable. Mais cela suppose une virilité, si défunte aujourd'hui, qu'on ne peut même plus prononcer son nom sans attenter à la pudeur… » (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), IV, chap. LIV ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 225).
. Caïn Marchenoir : « Je regarde l'état de comédien comme la honte des hontes. J'ai là-dessus les idées les plus centenaires et les plus absolues. La vocation du théâtre est, à mes yeux, la plus basse des misères de ce monde abject et la sodomie passive est, je crois, un peu moins infâme. Le bardache, même vénal, est, du moins, forcé de restreindre, chaque fois, son stupre à la cohabitation d'un seul et peut garder encore – au fond de son ignominie effroyable, – la liberté d'un certain choix. Le comédien s'abandonne, sans choix, à la multitude, et son industrie n'est pas moins ignoble, puisque c'est son corps qui est l'instrument du plaisir donné par son art. L’opprobre de la scène est, pour la femme, infiniment moindre, puisqu’il est, pour elle, en harmonie avec le mystère de la Prostitution, qui ne courbe la misérable que dans le sens de sa nature et l’avilit sans pouvoir la défigurer. » (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), IV, chap. LXII ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 267).
. Tout riche qui ne se considère pas comme l'INTENDANT et le DOMESTIQUE du Pauvre est le plus infâme des voleurs et le plus lâche des fratricides. Tel est l'esprit du christianisme et la lettre même de l'Évangile. Évidence naturelle qui peut, à la rigueur, se passer de la solution du surnaturel chrétien. (Léon Bloy, Le Désespéré (1887), V, chap. LXVIII ; Œuvres complètes, tome III, Mercure de France, 1964, p. 311).
. La France est tellement le premier des peuples que tous les autres, quels qu'ils soient, doivent s'estimer honorablement partagés quand ils sont admis à manger le pain de ses chiens. [8] Quand elle est heureuse, le reste du monde est suffisamment heureux, dût-il payer ce bonheur de la servitude ou de l’extermination. (Léon Bloy, Sueur de sang. 1870-1871 (1893), préface ; Œuvres complètes, tome VI, Mercure de France, 1967, p. 17).
. [Le téléphone], cet irresponsable véhicule des turpitudes ou des sottises contemporaines. […] J'ouvre ici une parenthèse, complètement inutile d'ailleurs, pour déclarer que le téléphone est une de mes haines. / Je prétends qu'il est immoral de se parler de si loin, et que l'instrument susdit est une mécanique infernale. (Léon Bloy, Histoires désobligeantes, XVIII. « Le téléphone de Calypso » (1893) ; Œuvres complètes, tome VI, Mercure de France, 1967, p. 279-280).
. Caïn Marchenoir : « Nous sommes tous des misérables et des dévastés, mais peu d’hommes sont capables de regarder leur abîme… » (Léon Bloy, La Femme pauvre (1897), I, chap. XIV ; Œuvres complètes, tome VII, Mercure de France, 1972, p. 83).
. Les histoires vraisemblables ne méritent plus d'être racontées. (Léon Bloy, La Femme pauvre (1897), I, chap. XXIII ; Œuvres complètes, tome VII, Mercure de France, 1972, p. 122).
. Caïn Marchenoir : « La folie des Croisades est ce qui a le plus honoré la raison humaine. » (Léon Bloy, La Femme pauvre (1897), I, chap. XXXIII ; Œuvres complètes, tome VII, Mercure de France, 1972, p. 161).
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[1] Cet article a été repris, sous une forme abrégée, pour former l’introduction du Sang du Pauvre (1909), sous le titre « L’hallali » : on y trouve donc aussi ces phrases (Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 83-84).
[2] Mis à part la phrase centrale (« Il serait… les démons »), ce passage a été repris en 1909 dans « L’hallali », introduction du Sang du pauvre (Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 84).
[3] Mis à part la deuxième phrase (« De l’absolu… du pauvre »), ce passage a été repris en 1909 dans « L’hallali », introduction du Sang du pauvre (Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 86).
[4] Cette remarque a été un peu développée dans Le Sang du pauvre, chapitre V : « On veut, à toute force, que l’Évangile ait parlé d’un mauvais riche, comme s’il pouvait y en avoir de bons. Le texte est pourtant bien clair : homo dives, « un riche », sans épithète. Il serait temps de discréditer ce pléonasme qui ne tend à rien [de] moins qu’à dénaturer, au profit des mangeurs de pauvres, l’enseignement évangélique. » (Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 101).
[5] Cette citation était en effet communément attribuée à Vallès à la fin du XIXe siècle. Elle ne semble pas se trouver dans ses œuvres, et il n’est même pas sûr qu’il s’agisse d’un propos oral, car Séverine, qui fut son amie et sa secrétaire, l’attribue au Communard Auguste Vermorel. Enquête bibliographique à paraître sur cette phrase.
[6] Les punaises, ce sont les Juifs, et le désinfectant, c'est leur confinement dans un guéto : « Ce monsieur Nathan était une petite putridité judaïque, comme on en verra, paraît-il, jusqu’à l’abrogation de notre planète. Le Moyen Âge, au moins, avait le bon sens de les cantonner dans des chenils réservés et de leur imposer une défroque spéciale qui permît à chacun de les éviter. Quand on avait absolument affaire à ces puants, on s’en cachait, comme d’une infamie, et on se purifiait ensuite comme on pouvait. La honte et le péril de leur contact étaient l’antidote chrétien de leur pestilence, puisque Dieu tenait à la perpétuité d’une telle vermine. / Aujourdhui que le christianisme a l’air de râler sous le talon de ses propres croyants et que l’Église a perdu tout crédit, on s’indigne bêtement de voir en eux les maîtres du monde, et les contradicteurs enragés de la Tradition apostolique sont les premiers à s’en étonner. On prohibe le désinfectant et on se plaint d’avoir des punaises. Telle est l’idiotie caractéristique des temps modernes. » Cinq ans plus tard, Léon Bloy a lui-même cité ces deux paragraphes dans le chapitre IV du Salut par les Juifs, leur ajoutant ce commentaire : « Je ne vois pas le moyen de changer un quart de ligne à cette page gracieuse. Plus que jamais il est clair pour moi que la société chrétienne est empuantie d’une bien dégoûtante engeance et c’est terrible de savoir qu’elle est perpétuelle par la volonté de Dieu. » (Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 25-26).
[7] Il s’agit d’un auto-emprunt : cette phrase se trouvait déjà dans Le Pal, n°4, 2 avril 1885 (Œuvres complètes, tome IV, Mercure de France, 1965, p. 85). Bloy a juste ajouté « pouvant être ». Il n’y a pas de différence entre le Bloy romancier et le Bloy pamphlétaire : non seulement le narrateur des romans tient les mêmes discours que l’auteur, mais le personnage de Caïn Marchenoir est une transposition directe de Bloy.
[8] Léon Bloy a cité cette phrase dans la deuxième section de l’introduction de Jeanne d’Arc et l’Allemagne (texte daté du 26 juillet 1914) : Œuvres complètes, tome IX, Mercure de France, 1969, p. 156.
23:38 Écrit par Le déclinologue dans Aphorismes, Littérature et arts, Religions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léon bloy, journal, le mendiant ingrat, mon journal, quatre ans de captivité à cochons-sur-marne, l'invendable, le vieux de la montagne, le pèlerin de l'absolu, au seuil de l'apocalypse, lettres de jeunesse, propos d'un entrepreneur de démolitions, la méduse astruc, sur la tombe de huysmans, l'âme de napoléon, napoléon, exégèse des lieux communs, le sang du pauvre, le désespéré, la femme pauvre, histoires désobligeantes, caïn marchenoir, argent, dieu, le salut par les juifs, antisémitisme, jacques petit, citations | | | Facebook | | Imprimer | | Digg |